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Droit d’auteur: le ras-le-bol des producteurs et beatmakers marocains

Dans un mouvement sans précédent, les producteurs et beatmakers de la scène marocaine appellent à régulariser la question des droits d’auteurs.

Il y a des jeunes producteurs et beatmakers qui voient leurs parents leur demander d’arrêter ce qu’ils savent faire de mieux et trouver un ‘vrai’ métier, Parce que le beatmaking au Maroc n’assure aucune stabilité financière… ça doit changer” nous déclare Wassim Karaki aka Hades, l’un des initiateurs du mouvement de contestation de ces artistes de l’ombre.

Parmi toutes les différences qui existent entre la scène rap au Maroc et celle des Etats-Unis ou de la France, le statut du beatmaker est sans doute l’un des meilleurs exemples. Très souvent sous-estimés, les compositeurs de musiques du royaume sont rarement mis en avant et la majorité des auditeurs marocains ne les connaissent pas. Au mieux, ils retiennent leurs blazes…

La victoire de la quantité sur la qualité ?

La généralisation d’internet ne facilite pas la vie des beatmakers et producteurs. Car de nos jours, la plupart d’entre eux diffusent leurs instrus sur le world wide web, de Soundcloud jusqu’à Instagram, avec l’objectif de se faire repérer. Si bien qu’aujourd’hui, certains rappeurs estiment qu’ils ont donné un coup de pouce à un beatmaker lorsqu’ils décident de rapper sur une de ses prods.

C’est surtout l’arrivée des typebeats qui a fait mal à ces hommes de l’ombre. Ces prods “à la façon de” symbolisent, d’une certaine manière, le déclin du milieu qui a été obligé de miser sur la quantité plutôt que la qualité. Comme leur nom l’indique, les typebeats s’inspirent de sonorités existantes. Autrement dit, ce sont des copies considérées comme moins bonnes que la prod originale. Leur banalisation a grandement participé à la dévalorisation du beatmaking. Mais ceci n’explique pas tout.

Le succès récent de PNL en France prouve même qu’un typebeat ne veut pas forcément dire une prod de mauvaise qualité. Le groupe composé des deux frères s’était fait connaître avec le projet QLF qui est essentiellement composé de prods récupérées sur la toile. Même leur emblématique titre Le Monde ou Rien a explosé les scores, alors que le beat a été acheté à moins de 40 euros sur le net. Mais au Maroc, la situation est encore plus complexe : si par exemple, un rappeur réalise dix ou vingt millions de vues sur un titre, rien ne l’oblige à redistribuer de l’argent à celui qui s’est occupé de l’instrumentale.

Un ras-le-bol collectif

Face à cette situation, de nombreux producteurs et beatmakers marocains ont décidé de faire équipe pour exprimer la même revendication : toucher les royalties et autres revenus générés par les rappeurs sur les différentes plateformes de streaming.

Car pour le moment, il faut savoir que dans ce “semblant” d’industrie musicale marocaine, le rappeur peut générer des revenus grâce au streaming à titre d’exemple. Néanmoins, les producteurs de ces mêmes musiques, qui parfois dépassent le seuil des 10 millions de streams, n’y gagnent rien. Même pas de la visibilité dans certains cas, car plusieurs descriptions de titres ne citent toujours pas le nom du producteur/beatmaker.

L’industrie va mal. Certes ça va de mieux en mieux, mais elle va toujours mal” renchérit Hades qui a essayé d’attirer l’attention du Bureau marocain du droit d’Auteur (BMDA) sur le sujet.

Contacté par Laklika, un représentant de l’organe nous confie que le Bureau ne gère pas tout ce qui est digital, mais qu’en général, rares sont les compositeurs qui inscrivent leurs compositions à la BMDA. “Si les compositeurs venaient s’inscrire à la BMDA on pourrait leur fournir au moins un document pour faire valoir leurs droits. Mais ce n’est pas le cas (…) Certains l’ont fait, ils touchent leurs revenus pour les passages radios et télévisions” affirme notre source. Pourtant, ce qui marche le mieux aujourd’hui, c’est bien le digital. Notre source nous révèle que lors du week-end prochain (26 et 27 septembre), un équipe de la BMDA sera sur Casablanca pour les inscriptions aux droits voisins concernant les musiciens, les artistes interprètes et les sociétés de productions, mais pas les compositeurs.

Une situation ubuesque qui pousse finalement la majorité des beatmakers à se contenter de vendre leur travail et de recevoir un virement paypal ou autres. Dès lors, ils ne sont plus concernés par les futures ventes de leur travail. Et ça, ce n’est pas normal.

Une solution simple?

Qu’ils soient à l’origine d’un morceau offert gratuitement ou d’un tube planétaire, les beatmakers marocains n’ont pas la garantie de toucher leurs royalties. Car ni les distributeurs, ni les artistes indépendants n’ont l’obligation de soumettre le nom du beatmaker ou producteur à la plateforme de streaming en question (Spotify, Deezer etc).

“Il faut pagayer longuement pour espérer toucher ses droits“, nous confie West, l’un des producteurs les plus réputés de la scène marocaine. Avant de préciser: “Cela fait un moment que je mène ce combat (…) pour que nos voix soient entendues et que des lois soient instaurées pour garantir nos droits“.

Même son de cloche du côté de Hades, producteur préféré du rappeur français Rim’k, qui admet “ne rien toucher sur tous les sons faits au Maroc et qui chiffrent sur internet”. Pour y remédier, West pense à un système basé sur les contrats de cessions, qui consiste à ce que les deux parties signent un document qui précise plusieurs termes au niveau de la distribution, de l’exploitation et évidemment la rémunération. En bref, le contrat de cession revient sur les moindres détails qui vont jusqu’à l’étendue géographique de l’exploitation de la musique. Dans certains cas, un nouveau contrat est signé en cas de réadaptation de la chanson en clip.

Si ce document est disponible, c’est aux plateformes d’exploitation d’exiger le contrat de cession, avant de mettre en ligne le son” nous précise West qui a tenu à souligner que: “Si le compositeur n’est ensuite pas content d’un contrat qu’il a signé sans en comprendre le moindre mot, c’est entièrement de sa faute, car on ne peut pas être dans un business et l’ignorer“.

Spectre de boycott

Fermez les yeux et imaginez un rap game sans beatmakers. Horrible, non? Pourtant, l’idée est chuchotée dans les différentes discussions, histoire “d’accélérer le processus”. Hades qui en a brièvement parlé dans l’une de ses storys préfère calmer le jeu. Car pour lui, tous les rappeurs du game n’ont pas le même degré de conscience.

Boycott on ne sait pas, parce qu’il y a des rappeurs conscients et qui profitent de la situation, et d’autres qui ne savent pas. Mais en tout cas, le message va passer (…) mais boycotter c’est assorti à rien, donc en parler et taper des poings sur la table sera plus efficace. On ne veut pas freiner des gens et mettre des bâtons dans les roues, nous ce qu’on veut c’est avancer et avoir notre place dans ce game” insiste Hades. Et c’est tout le mal qu’on souhaite au milieu du beatmaking marocain.