En cette rentrée, j’ai beaucoup de choses à reprocher aux acteurs culturels du pays. J’ai tellement de choses à me mettre sous la dent que je vais commencer par le plat principal: le présent et l’avenir des artistes marocains à l’ère du Covid.
Avant de commencer, laissez-moi d’abord me présenter. Smiti Abderrezak El Gherbaoui, fils de Mustapha et Fatima. Je suis né en 1989 à Casablanca, quelques jours avant la chute du fameux mur de Berlin. Après des études assez moyennes dans l’enseignement public, j’ai traversé la Méditerranée au bord d’une patera plus incertaine que la politique du PJD. Cela fait aujourd’hui cinq ans que Derb Ghallef a été remplacé, dans mon esprit, par le marché aux puces de Clignancourt alias Cli-cli. Cinq ans loin des yeux, mais toujours aussi près du coeur… et du poing.
Jusqu’à ce que les fosses et les scènes deviennent désertiques, les concerts de musique au Maroc étaient, à mes yeux, un concept plus qu’un événement mémorable. Entre deux lattes, clavier enfumé, je vous parle d’un monde d’avant les masques, d’avant l’état d’urgence sanitaire, d’avant Sina, Niba et Mi Naima, d’avant les réseaux sociaux et surtout d’avant les plateformes de streaming.
Alors que je me rends compte, pour la millième fois depuis que je suis à Paris, que la farce verte est finalement si différente de la marron du bled, je vous parle d’une époque où je vivais encore à Casa, la ville blanche au quotidien sombre. D’une époque où “lé plus bo payi di monde” laissait présager un avenir merveilleux à ses millions de jeunes. Depuis, j’ai l’impression que le progrès est à la traîne, un peu comme un tacle de Belhanda.
Ghorba masquée
Le coronavirus a tout changé et pour la première fois, j’ai l’impression d’avoir vécu des choses remarquables en assistant à un showcase d’ElGrandeToto à Casablanca. Pour la première fois depuis que j’ai pris la mer en espérant trouver ailleurs des perspectives qui me semblent – malheureusement – impossibles chez moi, j’ai l’impression d’avoir fait le bon choix.
“Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je serais ému de revoir Moro à travers l’une de ses vidéos diffusées en direct sur Instagram”
Je ne suis pas de ceux qui vont vous dire que c’était pas mieux avant. J’ai beau avoir la trentaine, je ne suis pas aussi grincheux que le présentateur des matchs de Botola un dimanche à 17 heures. Pas encore en tout cas. Mais je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je serais ému de revoir Moro à travers l’une de ses vidéos diffusées en direct sur Instagram (une sorte de réseau “social” où tout le monde est beau et mène la vie dial un pacha). Je n’aurais imaginé suivre, ce “Live”, avec autant d’intérêt que l’annonce de la date du Aïd El Fitr.
“Lalla zina ou zadha nor l’hammam”
Depuis mars dernier, les annulations de festivals, de concerts et de showcase s’enchaînent. De quoi priver les artistes d’une grosse partie de leurs revenus, sans oublier tous les métiers liés à l’organisation de ces événements qui se retrouvent au chômage technique. Dans ce contexte sans précédent, les MC s’organisent. Ils multiplient les lives en ligne et n’hésitent pas à sortir des morceaux inédits. Comme si on avait besoin d’une grave épidémie pour appuyer sur le bouton de la digitalisation du secteur de la musique.
Après tout, nos repères sont complètement partis en fumée. La mondialisation va mal, la presse n’intéresse personne, le CD ne se vend même plus à Derb Ghallef et la gestion de la crise du Covid-19 ressemble à un sketch amer. Alors, pourquoi ce serait différent pour une industrie qui se relevait à peine de sa léthargie ? Dans des moments comme ça, je repense au dicton que répétait très souvent Lwalida: “Lalla Zina ou zadha nor l’hammam”.
Pourtant, l’espoir existerait dans “lé plus bo pays di monde”. Notre nouveau ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, Othman El Ferdaous, a annoncé mi-juin, le lancement d’un “programme exceptionnel” de soutien aux acteurs culturels. Sur le papier, ce plan est aussi alléchant qu’un derby casablancais. Mais concrètement, la distribution anticipée des royalties – comme prévu par ce programme – ne va pas changer grand-chose. Surtout quand on sait qu’environ 70 % des morceaux produits par les artistes du bled ne figurent sur aucun registre officiel…
Maintenant que les présentations sont faites, à nous tous incombe le rôle de soutenir nos talents, de les pousser contre vents et marées. A nous tous incombe le rôle de nous réinventer, de pousser les murs, les réagencer, les réduire ou les faire tomber. Même face à l’inconnu, rien ne nous empêche d’ouvrir de nouvelles portes, d’explorer de nouvelles pistes. Plus que jamais.